Le Fauteuil En Courroux
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Réflexions
Réflexions…
 
Je suis tombé par terre... la faute à Voltaire
 
Enfin, c’est arrivé comme çà.
"la chute" JB Martin 2007

Un jour, je suis tombé. La faute à Voltaire. Vous avez remarqué, c’est un peu comme la bicyclette. On commence à avoir idée de ses jambes quand on chute. Un peu comme si la conscience de la marche en aggravait la difficulté. Enfin, ce fut une petite chute, à Paris, en Juillet. Le temps était déjà si beau et l’air doucereux de l’été emplissait ma poitrine. Je marchais vers la gare.
 
Deux mois après, je récidivais. Par terre. Entre temps bien sûr, j’ai senti l’alourdissement progressif de mes pas, cette étrange difficulté de soulever les jambes dès que je marchais longtemps. En octobre, je ne pouvais plus ignorer le poids de ma marche. Une leçon de pesanteur en quelque sorte. Je tombais encore, pris par la surprise du déboitement d’une marche que je voulais obstinément normale. Le médecin diagnostiqua une fatigue qu’on prévoyait temporaire et, face à la débilité annoncée de mes masses musculaires, prescrivit un retour au sport. Le salut viendrait de l’exercice.
Ce ne fut pas le cas. J’eus beau m’évertuer à pratiquer l’effort, mes résolutions achoppaient inéluctablement sur une nouvelle chute. Étais-je donc si allergique à l’effort ? je marchais, mes jambes obstinées se dérobaient encore. Il y avait comme une indicible lourdeur. De quoi comprendre corporellement les lois de la gravitation. En janvier, il fut évident, dans le secret de la petite lucidité de mon crâne, que nul entrainement ne parviendrait à enrayer le désordre de mes pas. D’autant que s’y ajoutaient dorénavant des sensations de fourmillements et autres agacements continus. Un nuage de sensations absentes entourait mes jambes comme un fourreau anesthésiant. C’était bien pratique pour ne plus sentir les orties, mais je pressentais obscurément une maladie grave. Je dissimulais cependant, encore attaché à persister dans le sport inutile et sans doute aussi pour m’épargner la condamnation de savoir. Et puis, j'avais honte de tomber.
 
Fin février, je tombais encore. Mes jambes refusaient toujours les plus petits efforts et j’aggravais de plus en plus la timidité de mes pas en diminuant toute marche inutile. Une paresse inéluctable. Je trichais pour ne pas déambuler. mais l'équilibre trop précaire de mes pas se fit ostensible. Il fallut donc l’avouer à mon entourage tant mes effondrements devenaient plus patents. Désormais que mes affaissements furent perceptibles, je déclenchais l’inquiétude de mes proches. Tou l'humour n'y suffit pas, je dus consulter encore. Nous étions en avril. Le second médecin, plus à l’aise dans les symptômes qui paraissaient, mais aussi plus soucieux de mon avenir, enclencha immédiatement la prescription mécanique de la faculté. Pourtant, je ne fus guère disert, m’employant à réduire la description de chaque symptôme comme si, en admettant un aveu plus discret, j’échappais davantage à sa réalité. L’IRM n’employa pas les mêmes nuances et le neurologue m’entraîna aussitôt à une hospitalisation hétérogène programmée pour l’été. D’examen en examen, ma moelle épinière révéla alors sa pagaille.
 
En juin, je ne tenais plus sans canne et d’une démarche si malaisée qu’il fallait m’appuyer contre les arbres. On ne dira jamais assez combien les troncs d’arbre et autres bancs publics constituent les appuis salvateurs des démarches éprouvantes en plus d'abriter les émois temporaires des amoureux. Une constatation que l’âge édifie, en même temps que la sagesse, sans doute. Mais il faut camper dans une âme citadine. Pas simple pour quelqu’un qui passait son temps sur le terrain de la nature. En juillet, mes jambes décidèrent de me lâcher sans commentaires. Je m’en faisais l’écho depuis quelques jours mais mes membres postérieurs préparèrent l’évènement avec cette traîtrise des scélérats. C’était un fait, il fallait désormais m’assoir pour avancer, considérant toute la paresse des mollets. Toute révolte contre cette perfidie musculaire n'y ferait rien, la vacance de mes jambes persistait. J’entrais alors dans la réduction inattendue de la marche des malades en fauteuil. Et cela ne roule pas si simplement. Ensuite, les interventions hospitalières, les opérations de neurochirurgie, les retours à l’hôpital, tout cela jusqu’en septembre. On ne raconte pas l’hôpital quand chacun d’entre nous en connait l’odeur absente, le bruit réservé, les rares paroles et la lenteur du temps. L'hopital est un silence trop lourd qui réveille nos nuits.
 
Négligeant totalement la réalité, j’espérais retravailler à la rentrée universitaire. D'ailleurs, n'étais-je point indispensable à mes étudiants ? Ce ne fut pas le cas. J’entamais à peine en octobre les débuts de la rééducation fonctionnelle. C’est un parcours interminable, ignoré des profanes, fait d’efforts constants où chaque pas entraîne son découragement, où chaque geste est une victoire de la volonté en même temps qu’elle ne cache rien de l’immense lassitude. Il faudrait parler un jour de la force des Joël et des Didier, des Carole, des Julien, des Lucie et des Julie, et de tous ceux et toutes celles que je tais bien qu’ils aient été essentiels. J’y ai rencontré des gens admirables, d’un courage exceptionnel et d’une avidité de vivre inégalée. Tout y est inutile, tout y est espoir. Le moindre mot peut déclencher les spasmes insensés de la dépression qui envahit chaque partie de notre corps. A entendre chaque jour «comment allez-vous ? » ou pire « tu vas bien ? », l’esprit laminé jour après jour, prend le risque de se révulser, d’entrer dans un emportement vain, de blesser ceux qui nous aident avec l’inutile, mais tenace, exacerbation de notre colère. Une colère contre ce corps qui ne veut plus rien entendre. Des jambes peu avenantes certes, mais le reste aussi, le désordre des sphincters, la douleur de la lymphe. Alors, comme un cachalot dérisoire, je sonde au fond de moi.
 
Et puis, il y a le fauteuil. Bouée de sauvetage des la marche perdue. Il faut en préparer l’usage comme on dompte un outil sauvage. La carriole roulante s’attrape au lasso de nos énergies. Il y a de l'éléphant dans le fauteuil roulant, de cette maladresse immense qui casse et heurte tout objet. La force vient des bras qui n’ont vraiment rien de la puissance des gorilles, d’autant que les muscles ne travaillent pas avec les mêmes tensions. Il faut aussi compter avec l’embarras des membres postérieurs pour garder l’équilibre. L’apprentissage du fauteuil roulant est une aventure inouïe vers une certaine liberté du paraplégique. Une envie de bouger irrésistible. Encore faut-il trouver le bon carrosse.
Ma première charrette trop lourde et si peu avenante ne me fit faire que bien peu de progrès. Il faut, pour avancer, toute la sportivité d’un bon fauteuil, manipulable et apte à faciliter le « deux roues » nécessaire. Loin d’une simple valse acrobatique, le « deux-roues » est la chorégraphie indispensable à qui veut franchir le plus infime obstacle. Encore faut-il que les chemins citadins ou ruraux soient un rien accessibles. N’importe, sans connaître la manœuvre, on alourdit encore les lents déplacements de notre corps. Au contraire, dès que j’ai pu obtenir mon carrosse de titane, j’ai allégé mes pas. Avec le fauteuil il m’est devenu possible d’atteindre la vitesse excessive d’une marche rapide et même de franchir quelques épreuves. Une fragile autonomie encore améliorée par la voiture…
 
 
 
Pourtant, j’ai mis plus d’un an à me rêver en fauteuil. Je marchais d’un rêve à l’autre, entraînant mes jambes dans des péripéties oniriques encore recommencées. Le songe arrivait toujours debout, répétant à chaque réveil la même peine. Une nuit, je me rêvais enfin comme j’étais, une moitié de moi attendait que je l’emmène. Évidemment, même des années plus tard, j’en ai marre de mes jambes traineuses, de mon dos cicatrisé et des petites douleurs. Le pire restant les sondes programmées à heures régulières. Ma foi, je ne suis pas le plus atteint ni le plus en courroux. Mais comme tout un chacun, je voudrais encore rencontrer des gens qui ne voit pas mon fauteuil avant moi.
 
Pourtant, je vous l’assure, j’ai tout de même développé une certaine tendresse envers mon petit carrosse à roues rayonnées. Je ne suis pas peu fier qu’il associe le titane au carbone pour autant me faciliter la vie et rendre son poids utilisable. Et cependant, combien d’obstacles persistent encore sur sa route, tant de chemins impossibles, tant de contournements obligatoires...C'est un début qui vient...
 
Voilà, cela a commencé ainsi, je suis tombé par terre. Voltaire ? même pas sa faute…



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